Le trafic de Piastres
De 1948 à 1954, l’Indochine française a été le théâtre d’un immense trafic, qui a secoué la IVème République : c’est le trafic des Piastres.
Trafic de piastres : l’histoire d’une affaire d’Etat
Dans Le Grand Monde, de Pierre Lemaître, une partie de l’histoire du roman repose sur un scandale d’Etat de grande envergure à Saigon : à travers des montages financiers, destinés à favoriser la colonisation, l’Etat français aurait financé indirectement les actions du Viêt Minh… contre les forces françaises. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces événements sont inspirés de faits réels : il s’agit de l’Affaire des Piastres, une histoire de trafic financier sous la Quatrième République. L’affaire du trafic des piastres fut racontée par Jacques Despuech, journaliste, en 1953.
Le fonctionnement du trafic des piastres
En 1948, l’Indochine est française. Comme de nombreuses colonies et protectorats de l’époque, elle bénéficie d’une monnaie propre : la piastre indochinoise. Celle-ci a un cours fixé, indexé sur le franc. Le taux de change fixé par l’Etat français est de 17 francs. Ce qu’on échangeait à un certain pris en Indochine s’échangeait donc pour le double en France métropolitaine.
Sur le marché local, la valeur réelle de la piastre s’approche plutôt des 8,50 francs. Ainsi donc, si vous arriviez à Saigon avec 5000 francs en poche, vous pouviez l’échanger localement contre environ 590 piastres. En vous rendant au bureau de change de l’OIC (Office Indochinoise des Changes), vous pouviez échanger ces 590 piastres, en les envoyant en France, contre un peu plus de 10 000 francs : sans rien faire, vous aviez doublé votre fortune.
Pour bénéficier de ce taux de change avantageux, mis en place par le gouvernement français dans une optique de dynamisation de la colonisation en Indochine, vous deviez justifier votre besoin de change à travers des factures et des commandes vers la France. On boostait ainsi le commerce entre la métropole et la colonie, on injectait de l’argent en Indochine et on créait donc, du point de vue du pouvoir, un cercle vertueux. La différence entre les taux de change était financée par l’Etat, donc par le contribuable.
Ce système fut cependant surutilisé par les diplomates, fonctionnaires, banquiers mais aussi les militaires dépêchés sur place qui profitaient de la situation pour se créer un capital à leur retour en France. On en vint à utiliser de fausses factures, ou à passer des commandes inutiles pour générer de plus en plus d’argent. Dans un article de 2002 qui traite du trafic des piastres, le journal Marianne écrit : « Mieux, le montant des transferts de piastres dépassait de très loin le total de la solde des militaires. »
L’histoire de l’Affaire des Piastres
Ce petit trafic dura de 1948 à 1953. Dès 1950, pourtant, Jean-François Armorin, journaliste, avait révélé le scandale. Il avait notamment identifié Mathieu Franchini, un corse expatrié à Saigon, comme le cœur de ce trafic. Des recherches antérieures montrèrent que ce n’était pas forcément le cas. Toujours est-il qu’Armoring décéda quelques temps plus tard dans un crash d’avion. Si l’enquête ne put rien démontrer, le journal Franc-Tireur, pour lequel officiait Armorin, accusa sans vergogne Franchini d’en être à l’origine.
Le scandale révélé une première fois ne fit pas grand bruit. Le gouvernement estima que dévaluer la piastre découragerait les militaires présents au front, qui voyaient dans ce trafic une source d’enrichissement personnel. Le trafic de la Piastre put poursuivre son cours.
Il fallut attendre 1953 pour que les choses commencent à bouger. Jacques Despuech, alors fonctionnaire à l’Office des Changes, publia Le Trafic des Piastres, une enquête approfondie autour de l’affaire, dans lequel il mettait en évidence que le Viêt Minh, qui se battait pour l’indépendance de l’Indochine contre la France, utilisait aussi ces montages financiers. En quelques sortes, le gouvernement français finançait son ennemi de guerre. La guerre n’était maintenue que grâce à ce trafic. L’autre aspect qui fit du livre de Despuech un succès, ce fut les révélations sur les noms des personnalités impliquées dans l’affaire des piastres : de grands industriels, des ministres… La presse s’en empara et le trafic des piastres devint un véritable scandale d’Etat. Le gouvernement, pour le faire cesser, dû dévaluer le cours de la piastre, le faisant passer de 17 francs à 10 francs, soit le prix du marché local.
L’autre conséquence de la publication du livre de Despuech et sa reprise dans les journaux de l’époque, ce fut un véritable changement de l’opinion publique quant à la guerre d’Indochine. Si elle était jusqu’ici plutôt favorable à l’intervention française, le sentiment d’une guerre entretenue pour l’enrichissement de quelques-uns fit basculer l’opinion de l’autre côté. En 1954, la bataille de Diên Biên Phu signa la presque fin de l’Indochine française. Le scandale du trafic des piastres se fit oublier avec elle.
Pour en savoir plus sur le trafic de piastres
Cette anecdote vous a intéressé ? Voici quelques ressources supplémentaires pour en savoir plus.
Le trafic des Piastres, Jacques Despuech : le livre à l’origine du scandale qui a ébranlé la IVème République
Le Grand Monde, de Pierre Lemaître : roman basé sur l’affaire du trafic des piastres, et qui s’inspire de l’histoire vraie sur de nombreuses scènes
Indochine, mort pour la Piastre, un documentaire de Fabien Bézat



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