Jacques de Molay : la malédiction des Rois Maudits

La malédiction des rois maudits a été popularisée par Maurice Druon dans sa saga des Rois Maudits. Fantasme ou réalité? Venez découvrir les origines de cet évènement de l’Histoire de France.

« Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître devant le tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment. Maudits ! Maudits ! Soyez tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Telle fut la malédiction que Jacques de Molay, dernier grand maître de l’ordre du Temple, lance depuis son bûcher à ses juges et bourreaux, le pape Clément V et le roi de France Philippe IV, le 19 mars 1314, avant de se faire dévorer par les flammes. Du moins est-ce ainsi que le raconte Maurice Druon, auteur de la célèbre saga des Rois maudits.

Fait historique ou mythe inventé de toutes pièces ? En tous cas, le pape comme le roi décédèrent tour à tour dans d’étranges circonstances quelques mois après cette imprécation. Nous vous proposons aujourd’hui de revenir sur ce célèbre épisode de l’Histoire de France. 

 

QUI ÉTAIENT LES TEMPLIERS ?

L’ordre des Templiers a été institué en 1118 par des croisés français à l’initiative du chevalier champenois Hugues II de Payns dans le but de protéger les pèlerins se rendant dans les lieux saints et défendre les Etats latins d’Orient mis en place par les croisés en Syrie-Palestine comme la principauté d’Antioche ou encore le royaume de Jérusalem. Les statuts de cet ordre furent dressés lors du concile de Troyes en 14 janvier 1128. L’ordre souverain des Chevaliers du Temple de Jérusalem constituait un ordre religieux militaire très bien organisé qui a accompagné toutes les Croisades. Pendant deux siècles, les Templiers ont joui des privilèges accordés par les papes, de la reconnaissance des rois successifs, et d’une autorité et d’un prestige inouïs, s’affirmant très vite comme l’un des ordres les plus puissants, et riches, de la chrétienté. De quoi susciter les convoitises et jalousies… 

 

JACQUES DE MOLAY, LE DERNIER GRAND MAÎTRE 

Au moment de sa mort, Jacques de Molay est le 23è et dernier grand maître de l’ordre du Templier. Natif de Franche-Comté, Jacques de Molay est né vers 1245 au château de Rahon dans l’actuelle Haute-Saône. Il est admis vers l’an 1265 dans l’ordre des Templiers et reçu par Imbert de Peraudo, visiteur de France et de Poitou, dans la chapelle du Temple, à Beaune. Il combat en Orient où il se distingue contre les « infidèles ». A la mort du grand maître Guillaume de Beaujeu, il est élu grand maître à l’unanimité.

Il se trouve sur l’île de Chypre lorsqu’il est appelé en France en 1305 par le pape. Il y arrive avec 60 chevaliers et un trésor inestimable et est reçu par le roi de France Philippe IV, qui le choisit pour parrain de l’un des enfants de France. Mais peu après son arrivée, les événements prennent une tournure inquiétante pour Jacques de Molay et son ordre.

 

LES TEMPLIERS, VICTIMES D’UNE MACHINATION DU ROI DE FRANCE ?

Le roi Philippe IV, dit Philippe le Bel, qui règne à partir de 1285 s’est appliqué à renforcer le rôle de l’Etat. Il souhaitait asseoir son autorité sur l’Eglise de France et s’en est pris directement à la papauté, au point d’entrer en conflit ouvert avec le pape Boniface VIII et de frôler l’excommunication. Mais une autre puissance religieuse fait de l’ombre à son pouvoir : l’Ordre du Temple placé sous la tutelle et la protection du Pape depuis 1139. Philippe le Bel avait donc un intérêt à éliminer les Templiers qui constituaient une autorité concurrente au trône de France, il était par ailleurs un lourd débiteur de l’Ordre. L’élimination des Templiers permettait au roi de France de s’accaparer les possessions de l’Ordre tout en liquidant  ses propres dettes et en détruisant cet Etat dans l’Etat qu’il ne pouvait tolérer.

Le roi lance rapidement une cabale contre les Templiers, et accumule des charges contre eux. Des rumeurs sur le manque de charité et le comportement immoral des membres du Temple commencent à courir  avant qu’ils ne soient finalement accusés d’hérésie. Jacques de Molay demande une enquête pontificale au pape Clément V pour couper court aux rumeurs, laquelle lui est accordée le 24 août 1307 mais Philippe le Bel n’attend pas les résultats de l’enquête et procède au démantèlement de l’Ordre.

 

L’ARRESTATION DES TEMPLIERS

13 octobre 1307, à la même heure et dans toute la France a lieu l’arrestation massive et systématique des Templiers ordonnée par le roi Philippe le Bel. Jacques de Molay est arrêté avec 140 autres Chevaliers à l’Hôtel du Temple sous des chefs d’inculpation douteux. L’opération a été conduite par Guillaume de Nogaret, Garde des Sceaux. Au même instant, le roi s’emparait des richesses des Templiers. Leurs biens furent saisis et les Templiers livrés aux mains des inquisiteurs qui procédèrent à la torture. Le procès dure sept ans, sept années durant lesquelles les Templiers, abandonnés par l’Eglise, soumis aux tortures de l’Inquisition confessent les crimes dont ils sont accusés, même les plus fantaisistes. Jacques de Molay lui-même aurait confessé sous la torture avant de revenir sur ses aveux et clamer son innocence.

La position du pape a été fluctuante et peu ferme. Le pape Clément V, qui, dans un premier temps, a soutenu les Templiers, s’est rapidement rangé aux cotés du roi de France. Clément V décrète l’arrestation des templiers dans toute la chrétienté en novembre 1307, puis décide de stopper l’action des inquisiteurs en février 1308. Il émet néanmoins la bulle Faciens Misericordiam le 12 août 1208 qui ouvre le procès de l’Ordre du Temple, puis finalement, sous la pression du roi de France, lors du concile de Vienne le 22 mars 1312, l’ordre du Temple est dissout par décret irrévocable et valable à perpétuité. Le Pape émet le 3 avril 1312 la bulle Ad providam annonçant la suppression de l’Ordre. Une autre bulle papale de mai 1312 transfère les biens des templiers à un autre ordre religieux militaire : l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem. Clément V a cédé face à Philippe le Bel, et choisi de sacrifier les Templiers pour mettre fin à sa querelle avec le roi de France. Pour expliquer l’attitude du Pape, certains affirment que Philippe le Bel aurait procuré à Clément V sa tiare en échange notamment de l’abolition de l’ordre. 

 

LA MORT DE JACQUES DE MOLAY

Le 18 mars 1314, Jacques de Molay, emprisonné depuis octobre 1307 à la prison du Temple, est conduit avec Geoffroy de Charnay, précepteur de Normandie, Hugues de Payraud, visiteur général de l’Ordre et Geoffroy de Gonneville, Commandeur d’Aquitaine, devant la cathédrale Notre-Dame pour entendre le verdict du procès. La sentence des juges est la prison à vie mais Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay haranguent alors la foule et clament que les Templiers n’ont commis aucun des crimes dont ils sont accusés. Relaps, les deux hommes sont alors condamnés à être brûlés vifs.

 

Le lendemain, 19 mars 1314, du haut de son bûcher dressé sur l’île aux Juifs, en face du Palais de la Cité, Jacques de Molay lança sa fameuse malédiction.

 

LA MALEDICTION DE JACQUES DE MOLAY : VERITABLE MALEDICTION OU SIMPLE FANTASME ?

Donnant forme et force à la légende, le pape Clément V meurt le 20 avril 1314 d’étouffement et le roi Philippe le Bel décède dans la nuit du 26 au 27 novembre 1314, probablement à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Ses trois fils, Louis X le Hutin, Phillipe V le Long et Charles IV le Bel, mourront précocement et successivement sans laisser d’héritiers mâles, éteignant ainsi la lignée des Capétiens directs. 

Cependant, Clément V était déjà malade, Guillaume de Nogaret est mort en 1313, soit un an avant le bûcher de Jacques de Molay quant à Philippe le Bel, il succombe après une longue agonie faisant suite à une chute de cheval à la chasse. Il n’y a pas eu de treizième génération pour les races du Pape Clément – et pour cause ! – ni pour celle de Guillaume de Nogaret et Philippe le Bel. La dynastie capétienne s’est poursuivie pendant et après la guerre de Cent Ans, à travers la branche des Valois et celle des Bourbons. La treizième génération des descendants de Philippe le Bel correspond aux enfants de Louis XIV dont l’espérance de vie fut normale pour l’époque.

Il semblerait que cette histoire de malédiction de Jacques de Molay convoquant le roi de France et le pape devant le tribunal de Dieu avant un an ne soit qu’une légende séduisante. En réalité, l’idée daterait de 1330 avec Ferrero de Ferretis, qui rapporte qu’un templier, mais pas Jacques de Molay, brûlé après le concile de Vienne de 1312, se serait écrié devant le pape : « Dans un an et un jour, avec Philippe responsable aussi de cela, tu comparaîtras pour répondre à mes objections et donner ta défense ». Au XVIe siècle, l’historien italien, Paolo Emilio, dans son De rebus gestis francorum (1548), dramatise l’exécution de Jacques de Molay en lui faisant prononcer une malédiction contre le roi de France. Selon Geoffroy de Paris, clerc à la chancellerie royale et auteur d’une chronique, présent au moment du supplice, Jacques de Molay aurait crié sur le bûcher « Dieu sait qui a tort et a péché : et s’abattra bientôt le malheur sur ceux qui nous condamnent à tort. Dieu vengera notre mort ». Mais ni le roi de France Philippe le Bel ni le pape Clément V n’auraient été explicitement nommés. Ce n’est donc qu’au XVe, voire XVIe siècle que l’idée d’une malédiction se cristallise autour de Jacques de Molay. Le mouvement s’amplifie au XVIIIe siècle avec le développement de la Franc-Maçonnerie qui s’inscrit dans la filiation des Templiers et les Lumières et la Révolution qui s’emparent de l’idée d’une monarchie maudite et dégénérée.

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LA MALEDICTION DE JACQUES DE MOLAY ET LES ROIS MAUDITS

 

Maurice Druon, Les rois maudits

Alain Demurger, Le crépuscules des Templiers

 

Jacques de Molay malédiction des rois maudits sur son bûcher
Pape Clément V maudit par Jacques de Molay
roi de France Philippe IV dit le Bel maudit par Jacques de Molay

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